ISOLEMENT/ISOLATION - JOUR/DAY 19

C'est un pays, fallait qu'j't'en parl'
Car j'l'ai dans l'coeur comm' tu crois pas
Quand j'suis pas d'dans c'est pas normal
A croir' que l'mond' n'existe pas... disait la chanson
  

Avril 2020 / April 2020

C'est un pays, fallait qu'j't'en parl'
Car j'l'ai dans l'coeur comm' tu crois pas
Quand j'suis pas d'dans c'est pas normal
A croir' que l'mond' n'existe pas...

 

...Disait la chanson (Soldat Louis) faisant référence à ces contrées de bord de mer, bercées par les embruns et les déferlantes, et qui font aussi partie de mes racines lointaines.

Pourtant l'endroit dont je veux te conter l'histoire est enclavé, sans aucun accès à l'océan. Il est une perle verte accrochée au collier de mes souvenirs les plus émus. Ce pays, c'est le Burundi, perdu au milieu de la région des Grands Lacs d'Afrique et, depuis mon enfance, il m'accompagne dans l'amour que j'ai pour ce continent unique.

Destination incongrue diront certains, violente pour les autres, folie pure pour les derniers. Je ne peux que m'opposer à ces jugements à l'emporte-pièce, alors que j'accepte et respecte que l'on me dise tout simplement: “Je ne connais pas, jamais entendu parlé, mais tu peux m'en dire plus ?“ Alors oui, du fond de mon isolement, je veux bien te dire pourquoi j'aime le Burundi.

Mon premier contact avec le pays remonte au milieu des années 1980, 1986 pour être plus précis. Mon père, alors expert auprès de la Fédération Française de Judo, m'avait fait un jour la promesse de m'emmener en Afrique noire, l'Afrique sub-saharienne comme on dit aujourd'hui.

Ce serait donc le Burundi, une région où il allait régulièrement mener des missions de soutien aux clubs de judo locaux. Il n'y avait alors pas de fédération de judo dans le pays, bien que ce sport y soit bien implanté. C'est à ce titre que la Fédération Française de Judo soutenait le développement du sport au Burundi, ainsi qu'au Rwanda ou encore au Zaïre (aujourd'hui la RDC) et dans bien d'autres pays.

Je débarquai au milieu de l'année 1986, du haut de mes treize ans et de mon ignorance totale. Je garde de ce premier séjour des images comme des flashback: la source la plus méridionale du Nil à plus de 2 000 mètres d'altitude, les 'crocos' et des 'hippos' sur la rivière Ruzizi, les parties de pêches sur le Tanganyika, ou encore la montée vers Bugarama a bord de la coccinelle modifiée de André. Je garde avant tout des prénoms, Fabien, Pierre-Marie, Christian, Libère, Valéry... qui eurent tous des destinées différentes, parfois tragiques, mais qui sont restés gravés dans ma mémoire.

Ce qui est certain, c'est que ce séjour fut un révélateur et depuis que j'ai vu pour la première fois les rives du lac Tanganyika, je suis totalement tombé amoureux de ces contrées lointaines et tout sauf inhospitalières.

Malheureusement depuis ces années d'insouciance, le Burundi a fait parlé de lui beaucoup plus tristement. Dans les années 90 il fut la proie de la terreur et devint le témoin, l'acteur et la victime de la folie des hommes. Des dizaine de milliers de personnes furent massacrées pour des raisons qui échappent à l'entendement, dans le dédain de la communauté internationale. Comme si un fléau ne suffisait pas, il fut profondément meurtri par les années Sida qui firent des ravages au sein de la population.

Avec l'expérience de l'âge, je retournai finalement au Burundi au tout début des années 2000, en plein conflit civil. Toujours avec mes parents et plus tard avec une bande de copains avec qui je partageais des valeurs humanistes, nous allâmes à la rencontre des amis qui avaient pu traverser les années de peur.

Leur nombre s'était réduit comme peau de chagrin, mais grâce au judo, nous nous lançâmes corps et âmes dans un programme d'aide et de développement social. Entre 2000 et 2010 j'effectuais une quinzaine de séjours à Bujumbura et dans tout le pays et je peux affirmer que j'en appris à chaque fois un peu plus sur ce coeur vibrant de l'Afrique et son peuple adorable.

Au-delà des horreurs de la guerre, des attaques à la grenade, des couvre-feux, des massacres de grande ampleur ou encore de l'hécatombe sanitaire dont j'ai pu observer les stigmates, le Burundi est un territoire incroyablement magnifique. Bénéficiant d'un climat équatorial tempéré par l'altitude, il y fait 'bon vivre'. Et s'il te plait, ne me dis pas que cela est paradoxal. J'en suis convaincu et ce n'est pas parce que les hommes perdent parfois la raison, qu'il faut en tirer des conclusions hâtives, car ...

... Il faut avoir vu les eaux bleues du lac Tanganyika, deuxième plus grand lac d'Afrique et troisième au monde, leur pureté et leurs poissons succulents ne sont pas que légendaires. Il faut s'être promené au milieu des collines à l'intérieur du pays et avoir compris le rôle qu'elles jouent dans un château de carte social complexe. Il faut s'être noyé dans les myriade de verts et d'ocres des paysages et y avoir découvert des couleurs que l'on pensait inimaginables jusqu'alors. Il faut aussi avoir mangé des fraises à Bugarama pour comprendre que la richesse du sol offre tout au long de l'année des récoltes abondantes aussi bien en céréales, en fruits qu'en légumes dodus et juteux. Il faut enfin avoir frissonné de peur en suivant de loin les cyclistes funambules qui descendent à tombeau ouvert la route qui serpente vers Bujumbura, leur montures d'acier chargées de dizaines de kilos de bananes, pour ne pas oublier que la vie ne tient qu'à un fil.

Mais si j'ai évidemment un amour particulier pour le kaléidoscope des paysages burundais que je ne me lasse jamais de redécouvrir, l'attachement que j'ai pour les gens est difficilement descriptible. Enfant j'ai été accueilli comme un roi, adulte je suis devenu un ami et un frère. Je me suis senti adopté. J'ai même été baptisé avec un nom local par mes frères et mes soeurs africains. Pour eux je suis devenu 'Mugisha'.

Jamais je ne me suis senti isolé au Burundi. Jamais je n'ai eu le sentiment d'abandon. Ce n'est pas parce que les gens n'ont rien, qu'ils ne sont pas prêts à tout vous donner. J'ai vécu de telles situations de partage tant de fois. Il s'agit sans doute de l'appanage de ceux qui savent encore attacher de l'importance à ce qui compte.

J'ai aussi passé des jours et des nuits à essayer de comprendre l'âme du Burundi et je n'ai pas la prétention d'y être arrivé, mais ce que je peux garantir, c'est que l'on m'a ouvert les portes en grand et que j'ai senti son coeur battre.

J'ai assisté à des mariages, à des levées de deuil ou encore à des fêtes de famille au son des tambourinaires. J'ai partagé la tristesse de ceux qui restent lorsque les être chers s'en vont, mais aussi la joie immense de ces centaines de gamins qui vous fondent littéralement dessus lorsque vous vous arrêtez quelque part ; j'ai gravi les montagnes ; je me suis baigné dans les rivières ; j'ai mangé dans les plus petits restaurants, au fin fond des contrées les plus reculées, je suis descendu dans des mines d'or clandestines à la frontière avec le Rwanda ; j'ai chanté, guitare à la main, à Ngozi ; j'ai dansé sur des rythme africains jusqu'à plus soif ; j'ai été bouleversé par ma visite de l'hôpital de Gitega ; je me suis parfois heurté à l'incompréhension de nos différences culturelles, mais j'en suis toujours ressorti grandi et plus respectueux encore.

Au cours de toutes ces années, j'ai appris à dire, 'Comment allez-vous' (Urakomeye?), 'Quoi de neuf' (Amakuru?) 'Bonne nuit' (Ijoro Ryiza), 'Merci' (Urakoze)... et surtout 'AMAHORO', la paix, qui a tant fait défaut à un pays dont le peuple à tant souffert et souffre encore. J'ai aussi pu rajouter un nombre incalculable de prénoms à la liste des personnes qui comptent dans ma vie et pour qui je voudrais, si je le pouvais, renverser les montagnes: Jean-Jacques, Anitha, Flora, Désiré, Faustin, Paterne, Grace, Vianney, Davin, Rachel, Salvator, Vital, Nadia... Comme je ne voudrais en oublier aucun, j'aurai une pensée émue pour chacun d'entre eux au moment où je couche ces lignes.

Je ne peux conclure sans vous dire qu'il y a un mot, parmi tant d'autres que je retiens plus spécialement : TURIKUMWE. C'est ce que l'on se dit en se quittant, avant de partir en voyage. C'est une sorte d'au revoir. Mais c'est aussi une façon de dire, que même si physiquement on est loin les uns des autres, on reste en contact par l'esprit. Alors, j'espère que je vous ai donné envie d'en savoir un peu plus sur ce pays dont il fallait que je vous parle et d'ici là je vous dis TURIKUMWE', car en ces temps d'isolement, nous avons plus que jamais besoin que nos âmes restent connectées.

 

En attendant, #restezchezvous!

French song:
It's a country, that I needed to talk about
I have it in my heart, as you can't imagine
If I'm not there, it's not normal
As if the world wouldn't exits

 

... Said the song referring to these seaside regions, lulled by the spray and breaking waves, and which are also part of my distant roots.

Yet the place whose story I want to tell you is landlocked, with no access to the ocean. It is a green pearl hanging on the necklace of my most precious memories. This country is Burundi, lost in the middle of the Great Lakes region of Africa and, since my childhood, it has accompanied me in the love I have for this unique continent.

An incongruous destination, some would say, violent for the others, pure madness for the last ones. I can only oppose these judgments, while I accept and respect being told simply: “I don't know, never heard of it, but you can tell me more". So yes, from the depths of my isolation, I would like to tell you why I love Burundi.

My first contact with the country dates back to the mid-1980s, 1986 to be more precise. My father, then an expert with the French Judo Federation, once made a promise to take me to black Africa, sub-Saharan Africa as we say today.

It would therefore be Burundi, a region where he would regularly travel to support missions for local judo clubs. There was then no judo federation in the country, although this sport is well established. It is for this reason that the French Judo Federation supported the development of sport in Burundi, as well as in Rwanda or even in Zaire (today the DRC) and in many other countries.

I disembarked in the middle of 1986, from the height of my thirteen years and my total ignorance. I keep from this first stay images like flashbacks: the southernmost source of the Nile at more than 2,000 meters above sea level, the 'crocos' and 'hippos' on the Ruzizi river, the fishing parties on Tanganyika, or the climb to Bugarama aboard André's modified beetle. I keep above all names, like Fabien, Pierre-Marie, Christian, Libère, Valéry ... who all had different destinies, sometimes tragic, but who have remained etched in my memory.

What is certain is that this trip was revealing and since I saw the shores of Lake Tanganyika for the first time, I totally fell in love with these distant and anything but inhospitable regions.

Unfortunately, since these carefree years, Burundi has been talked about much more sadly. In the 90s it was the prey to terror and became the witness, the actor and the victim of the madness of men. Tens of thousands of people were massacred for reasons beyond comprehension, with the contempt of the international community. As if a scourge was not enough, it was deeply bruised by the AIDS years which wreaked havoc among the population.

With the experience of age, I finally returned to Burundi at the very beginning of the 2000s, in the midst of a civil conflict. Always with my parents and later with a group of friends with whom I shared humanist values, we went to meet friends who had been able to cross the years of fear.

Their numbers had shrunk, but thanks to judo, we launched ourselves body and soul into a programme of aid and social development. Between 2000 and 2010 I made fifteen trips to Bujumbura and throughout the country and I can say that I learned a little more each time about this vibrant heart of Africa and its adorable people.

Beyond the horrors of war, grenade attacks, curfews, large-scale massacres or the sanitary situation, the stigmata of which I have observed, Burundi is an incredibly magnificent territory. Benefiting from an equatorial climate tempered by the altitude, it is a place to enjoy life. And please don't tell me this is paradoxical. I am convinced of it and it is not because men sometimes lose their mind that we must draw hasty conclusions from it, because ...

... You must have seen the blue waters of Lake Tanganyika, the second largest lake in Africa and third in the world, their purity and their succulent fish are not only legendary. You have to have walked among the hills in the countryside and to have understood the role they play in a complex social map. It is necessary to have drowned in the myriad of greens and ochres of the landscapes and to have discovered colors that we thought unimaginable until then. It is also necessary to have eaten strawberries in Bugarama to understand that the richness of the soil offers throughout the year abundant harvests as well in cereals, fruits as in plump and juicy vegetables. Finally, you must have shivered with fear by following from afar the crazy cyclists who descend the road that winds towards Bujumbura, their steel mounts loaded with tens of kilos of bananas, so as not to forget that life is very fragile.

But if I obviously have a particular love for the kaleidoscope of Burundian landscapes that I never tire of rediscovering, the attachment that I have for people is difficult to describe. As a child I was welcomed as a king, as an adult I became a friend and a brother. I felt adopted. I was even baptized with a local name by my African brothers and sisters. For them I became 'Mugisha'.

I have never felt isolated in Burundi. I never had the feeling of abandonment. Just because people have nothing doesn't mean they're not going to give you everything. I have experienced such sharing situations so many times. It is undoubtedly the prerogative of those who still know how to attach importance to what matters.

I also spent days and nights trying to understand the soul of Burundi and I do not pretend to have succeeded, but what I can guarantee you is that doors have been opened wide and I saw its heart beat.

I attended weddings, mourning, or family celebrations with the sound of drummers. I shared the sadness of those who stay when loved ones leave, but also the immense joy of these hundreds of kids who literally melt you when you stop somewhere; I climbed the mountains; I bathed in the rivers; I ate in the smallest restaurants, deep in the most remote regions, I went down to clandestine gold mines on the border with Rwanda; I sang, guitar in hand, in Ngozi; I danced to African rhythms until the day comes back; I was overwhelmed by my visit to the Gitega hospital; sometimes I couldn't understand our cultural differences, but I have always come out of it more adult and even more respectful.

In all these years, I have learned to say, 'How are you' (Urakomeye?), 'What's up' (Amakuru?) 'Good night' (Ijoro Ryiza), 'Thank you' (Urakoze). .. and above all 'AMAHORO', peace, which has so much lacked in a country whose people have suffered so much and still suffer. I have also been able to add countless names to the list of people who matter in my life and for whom I would, if I could, overturn the mountains: Jean-Jacques, Anitha, Flora, Désiré, Faustin, Paterne, Grace, Vianney, Davin, Rachel, Salvator, Vital, Nadia ... As I would not want to forget any, I will have an emotional thought for each of them when I write these lines.

I cannot conclude without telling you that there is one word, among many others that I remember more specifically: TURIKUMWE. This is what we say when we leave, before going on a trip. It's a kind of goodbye. But it is also a way of saying, that even if physically we are far from each other, we remain in contact through a spiritual connection. So, I hope I made you want to know a little more about this country that I had to talk to you about and until then I tell you 'TURIKUMWE', because in these times of isolation we need more than ever our souls to stay connected.

 

In the meantime, #stayathome!

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